LE PARADIGME DU CRIME CONTRE L’HUMANITE ET LA RENAISSANCE DU PLURALISME JURIDIQUE DANS LES DROITS PENAUX AFRICAINS: Contribution à une théorie sur l’internormativité des systèmes pénaux nationaux en transition

Partir à la recherche d’une théorie sur l’internormativité dans les systèmes pénaux africains revient à analyser les nouvelles formes d’articulation des ordres et des normes juridiques structurant lesdits systèmes. A l’ère de la postmodernité, une telle étude, qui conduit à penser une recomposition ou à repenser la composition normative du champ pénal national à l’aune de la force agissante d’un nouveau paradigme juridique, requiert nécessairement le dépassement des frontières conceptuelles établies par un méta-paradigme juridique ancien jusqu’alors innomé : celui de « l’étatisation » du droit pénal. Dominant parce qu’uninanimement reconnu par la communauté scientifique pénale, ce méta-paradigme juridique est animé de la force de l’évidence et autorise à inscrire la dimension formelle du droit pénal africain postindépendance dans l’épistémè kelsénien. De l’élaboration de la norme à son application concrète, tout se lit selon la perspective moniste et exclusive du dieu législateur prétendument omniscient et omnipotent. Dans les années soixante, les premiers mouvements de codification pénale dans les jeunes Etats créés en Afrique avaient principalement pour vocation normative d’assurer cette solidité des « corps » par le passage d’un pluralisme de séparation à une unité juridique utopique.
Cependant, depuis l’entrée dans ce XXIe siècle, les systèmes pénaux africains, à l’instar de ceux européens pour lesquels la mécanique est plus avancée même si le phénomène déclencheur n’est pas identique, paraissent de plus en plus marqués par les métaphores du lien et du mouvement. Un nouveau paradigme juridique est en émergence dans leur espace normatif: le
paradigme du crime contre l’humanité. Les dynamiques normtives qu’il emporte présente deux principales conséquences. Primo une nécessaire réorganisation des forces normatives en présence (réorganisation des rapports entre l’ordre normatif interne et celui international, entre l’ordre normatif reçu et celui originel). Secundo, une nouvelle dynamique d’expansion et de
création normative se met en place. Les principes traditionnels sont renouvelés (le principe de la légalité pénale), les concepts anciens sont enrichis (le concept de l’incrimination ouverte), de nouvelles notions deviennent concevables à l’intérieur du système pénal formel (la notion de responsabilité collective), de nouvelles logiques juridiques progressent (des hiérarchies
complémentaires progressivement se succèdent aux hiérarchies strictes, d’un juge bouche de la loi l’on passe à un juge tisseur du système normatif). Globalement donc, le paradigme du crime contre l’humanité suggère l’idée que les systèmes pénaux africains sont en perte de leurs « frontières naturelles », les introduisant dans une transition des modèles simples post coloniaux aux modèles complexes postmodernes.
La thèse de la communicabilité entre les différents ordres juridiques composant l’espace pénal africain, mise en exergue dans l’étude pour construire une théorie sur l’internrmativité, valide l’idée de la renaissance du pluralisme juridique dans les droits pénaux africains. D’une part, elle postule une lecture non linéaire des rapports entre les différentes normes juridiques en
même temps qu’elle tend vers un retour aux sources de la normativité pénale en Afrique et d’autre part, elle légitime le recours à la pensée juridique complexe comme cadre théorique de l’analyse du système pénal africain contemporain. Au regard de son implication épistémologique, cette thèse de la communicabilité entre les ordres juridiques tend à conférer au
paradigme en émergence, celui du crime contre l’humanité, la force d’un méta-paradigme juridique nouveau qui pourrait « bousculer » l’ancien dès lors qu’il porte en lui les germes de la « désétatisation » du droit pénal compte tenu du phénomène de l’internationalisation pénale dont il participe.