Les auxiliaires indigènes de la traite des esclaves sur le fleuve Sénégal: 1664-1848
Mots-clés :
1664-1848, Esclavage, histoire, Fleuve Sénégal, SénégalSynopsis
La traite atlantique et l’esclavage des Africains constituent actuellement des vecteurs idéologiques de taille « sur les enjeux contemporains de l’histoire de l’Afrique ». Le discours militant et médiatique « à travers la quête de reconnaissance pour les victimes » pose les revendications par la justice (crime contre l’humanité) ou la demande de réparation. Au même moment les constructions mémorielles à la fois convergentes et divergentes exaltent l’idée des commémorations pour lutter contre l’oubli. « Mais que sont des souvenirs, ou des mémoires, sans une histoire préalablement et solidement définie dans ses contours?». Une telle problématique pose réellement une nouvelle approche de l’historiographie de la traite. « Cette nouvelle quête historiographique exige le renouvellement de la réflexion historique, le dévoilement des modes d’actualisation du passé et des engagements du présent ».
Ainsi ce mémoire ne s'intéresse pas au débat des responsabilités partagées ou non sur la question de la traite atlantique. Il n’est pas non plus une présentation exhaustive de la traite des esclaves sur le fleuve Sénégal. Il ne prend pas part aux discussions et controverses sur le nombre d’esclaves expédiés en Amérique par le biais de la traite atlantique en Sénégambie6.
Au contraire, il cherche à identifier et à expliquer les mécanismes par lesquels la dynamique atlantique s’incorpore dans les structures sociales africaines par une restitution soucieuse de se conformer aux trajectoires plurielles de l’implication des Africains dans les activités de traite. Dès lors, mon objectif est de donner une explication de la traite transatlantique
dévoilant les voies et moyens qui ont permis aux Africains d’échanger avec les Européens durant la traite, et d’examiner ce qui s’est passé à l’intersection de ces deux univers, afin « de redonner au sujet africain son statut de sujet historique et non pas d’objet ou simplement de victime». De la sorte, ce travail porte sur un aspect fondamental mais négligé de l’histoire de l’esclavage en Afrique en rapport avec la dynamique atlantique. Il met en lumière les agendas africains dans la traite atlantique à partir de l’étude d’un groupe social spécifique : les auxiliaires indigènes pour la longue période 1664-1848. Il explore les dimensions économiques, sociales et culturelles des activités de ce groupe d’intermédiaires entre les sociétés africaines et les entrepreneurs européens de la traite atlantique des esclaves destinés à l’Amérique.
Le choix d’étudier les auxiliaires indigènes de la traite des esclaves sur le fleuve Sénégal se justifie d’abord par l’importance que revêt l’analyse des activités de traite et des pratiques esclavagistes à l’échelle du continent, ensuite par la dimension non moins négligeable que constitue la traite négrière dans le vécu actuel des Africains. En effet, le monde atlantique entre le XVe et le XIXe siècle, formé par la jonction des peuples de différents continents (Europe, Afrique, Amérique), a fini de façonner des sociétés aux trajectoires socioculturelles plurielles dans ces différentes zones et continue d'influencer leur quotidien ou leur représentation au présent8. Mais ce choix procède surtout d'un constat.
L’étude de la traite atlantique, depuis une décennie, est inscrite dans une vision plus globale comme l'attestent les travaux les plus récents9. C’est ainsi que les questions de mutations sociopolitiques, d’émergence de nouveaux groupes sociaux et de restructuration des rapports de forces nés de l’accroissement incontestable de la traite et de l’usage croissant de l’esclavage domestique, de même que la participation effective des structures sociales des indigènes dans cette page de l’histoire, ont été largement abordées dans l’historiographie du Sénégal. En conséquence, des monographies et ouvrages se sont intéressés aux mutations internes des sociétés sénégambiennes liées aux dynamismes de la traite transatlantique et de la colonisation. Toutefois, rares sont les publications scientifiques ayant abordé et analysé de manière systématique les différentes classes subalternes africaines et leurs rôles dans la traite. Pourtant elles font partie de cette longue chaîne d’acteurs qui opéra sans relâche pour maintenir et alimenter ce commerce étalé sur plusieurs siècles.
Cette étude est une contribution au champ thématique de ces travaux portant sur les transformations économiques et sociales des sociétés africaines liées à la traite négrière et à l’esclavage domestique. La réouverture du dossier de la traite atlantique semble être un excellent prétexte pour éclairer un aspect du commerce des esclaves sur le fleuve Sénégal : la participation d'auxiliaires indigènes dans le trafic. L’objectif principal est de réfléchir sur l’implication des acteurs africains dans la mise en place et le fonctionnement du système de la traite et de l’esclavage, afin de décrypter à partir de l’observation du jeu et des intérêts des acteurs indigènes la pluralité de leurs agendas dans cette activité. Les dates charnières choisies, 1664-1848, sont porteuses de significations. 1664 marque la création de la Compagnie des Indes Occidentales qui assure le monopole français sur le fleuve Sénégal. Quant à l’année 1848 elle renvoie à l’adoption du décret du 27 Avril qui promulgue l’abolition de l’esclavage dans les colonies françaises. Le fleuve Sénégal sert de cadre géographique. D’abord, il fut un point névralgique dans le dispositif de la traite atlantique des esclaves, qui vit la rivalité des nations européennes pour son contrôle mais aussi une présence décisive et permanente des acteurs africains dans ce trafic. Ensuite, ce cours d’eau, lieu de contact et d’échanges des peuples riverains, fut un champ de compétition, de coopération et de conflits entre les divers acteurs du commerce des esclaves. Les auxiliaires indigènes de la traite sur le Sénégal étaient un groupe de travailleurs africains composé de différents sous groupes professionnels : les laptots, maîtres de barques, maîtres de langues, rapaces, pileuses…Bref il renvoie à ce personnel africain qui était au service des négriers et à leur propre compte12. Mais vouloir disserter sur ces auxiliaires requiert un préalable, celui de s’interroger sur le terme : « auxiliaire indigène », afin de saisir le sens de cette expression.
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Références
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